J’ai faim


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Depuis toute petite, je n’ai de passion que la nourriture. Je mange sans discontinuer, dès que je le peux. Toute la journée, le soir. Même la nuit, je me réveille avec l’estomac qui fait des siennes. Ce n’est pas une contrainte pour moi, ni un calvaire. J’adore ça. Un paquet de petits beurre. Mes parents s’inquiétaient, ils m’emmenaient voir des nutritionnistes qui me prescrivaient des régimes. Les gâteaux étaient enfermés dans des placards en hauteur d’abord, puis sous clé lorsque j’ai grandi. Mais rien n’y faisait. Du riz sauce au poivre. S’ils ne me nourrissaient pas suffisamment, je mangeais les tapis. Du salon, de la salle de bain. Ou la moquette qui recouvrait la lunette des toilettes ou celle au sol, là où les dernières gouttes de papa tombaient.

Si je ne mangeais pas, je pleurais. Et je dépérissais. Contre fortune, bon cœur bien forcé, mes parents me laissaient me gaver, tout en veillant à ce que je ne me gâte pas. Pas trop sucré, pas trop salé. Ils m’ont inscrite à la danse, au judo, au foot. Tout était bon pour que je me dépense un maximum. Salade gésiers. Ils s’inquiétaient, à raison, pour ma santé. Mais le problème n’est pas venu d’où ils l’attendaient.

J’emportais des sacs de goûter qui ne rentraient pas dans mes cartables d’école.
Evidemment, je grossissais quand même. Bien que je n’ai jamais eu aucune ambition, j’ai concouru malgré moi et ai failli devenir la femme la plus grosse du monde. Haagen-Dazs brownie choco, 500ml. A même pas vingt-cinq ans. Pas de diabète, pas d’hypertension. Rien de tout ça.

Dès que mes parents sont morts, j’ai arrêté le sport. Je n’ai pas spécialement enflé à partir de là. Mais ma mobilité s’est réduite. J’avais du mal à me retenir et tous ces kinders, ces ferrero, ces snacks et ces hamburgers (j’adore aussi les hamburgers et la sauce pomme frites du Mc Do et la sauce chinoise et les dips de Quick et le nuoc-mam des fast food chinetoques), je les engloutissais à la chaîne. Ma ceinture abdominale s’est ramollie et mon vente a gonflé. J’ai d’abord pensé que j’étais enceinte (vous riez, mais vous seriez surpris du nombre de types qui aiment les grosses, qui aiment se blottir sous la masse de toute ma chair, à s’en étouffer), mais pas de petite graine en moi. Juste mes tubes digestifs qui se dilataient à l’infini.

Je suis clouée dans un mon fauteuil pour gros et je vois mon nombril pointer vers le ciel, comme un téton divinement excité. J’enfile une barre de petit déjeuner fourré. Mon ventre grossit à vue d’œil. J’ai un peu peur, mais qu’y puis-je ?

La peau se tend. Ça me tire. Je ne vois plus Claire Chazal, engloutie sous la graisse qui s’étale et se répand. Je ne l’entends plus non plus, le son des hauts parleurs est étouffé. Je m’étends dans l’appartement, recouvre chaque meuble, comme de la lave. Sauf que c’est mon corps. Tetsuo. Je pense à du hachis parmentier.

Je coule sans pouvoir m’arrêter. Je glisse sous les portes, emplis les espaces, bouche les aérations. Mon corps n’est plus qu’une immense flaque grandissante de gras informe. Je dégouline. Je me sens conne. Mais j’ai encore faim.


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